Je me promenais de toits en toits, dans cette ville décharnée. Il devait être vers 1 heure du matin. La nuit régnait, et elle qui d'habitude me rassurait et m'enveloppait de la chaleur et la lumière des étoiles, semblait plutôt ici plonger les quartiers dans les ténèbres et un silence de mort.
  Qu'est ce que je faisais à Balbadd ? J'avais installé mes marchandises et m'étais basée ici, cette ville portuaire en déperdition, pour quelque temps. Comme à mon habitude, une fois le travail terminé et le repas prit avec tous mes contractants, j'allais me vider la tête. Ramsès m'avait sermonnée en me disant que je devais arrêter ces enfantillages, que je me mettais en danger, qu'une troupe de bandits rôdait dans la ville... Pff. Il était bien mal placé pour dire ça, étant un ancien Mercenaire. Ma sécurité semblait l'inquiéter ! De plus, il me savait bien plus forte que de simples voleurs des rues...
     Je commençais à m'ennuyer, je m'asseyai donc sur le toit d'une bicoque, dans une allée calme et m'amusait à repérer les étoiles. Aldébaran, Regulus...et là Antarès, Formalhaut, les quatre étoiles royales, dont on se servait pour repérer les quatre points cardinaux, à Parthévia...puis Rigel, Altaïr... Ces étoiles, si brillantes, me fascinaient. J'avais étudié des cartes du ciel dans des livres, cherché des informations dans des manuscrits, mais elles semblaient toujours pour moi aussi mystérieuses.

  De bruits de pas me sortirent de ma rêverie. Un jeune garçon blond arpentait les rues, l'air penseur. Il monta sur un toit à quelques mètres de moi. Était-ce un bandit ? De peur de me faire surprendre, je descendis dans une ruelle, et, sans m'en rendre compte, bousculais un vieux chariot aux casseroles en cuivre, qui à mon malheur se renversa. Un gémissement anxieux sortit de ma gorge. Il y eu un bruit tonitruant qui déchira la nuit. Une voix s'ecria, sûrement le blond, dont le bruit avait attiré l'attention :

-QUI EST LÀ ? MONTREZ-VOUS !

Pétrifiée, je me collais au mur crasseux. J'essayai de sortir, mais j'étais prise dans un cul de sac. Pourquoi était-il si méfiant ? Me suivait-il ? Et pourquoi redoutais-je a ce point de me faire repérer ? Que devais-je faire ?
Foutu pour foutu, je décidai de monter de nouveau sur les toits et de courir rapidement. J'etais plutôt douée au niveau de la vitesse et de l'esquive.
   Je montais donc de nouveau sur les toits, en essayant d'etre discrète. Le pied léger, je parcouru une dizaine de mètres sans un bruit. Mais les toits, de mauvaise qualité à cause de la pauvreté, n'étaient pas résistants, et une tuile se décrocha pour s'éclater trois mètres plus bas...à côté du garçon.

- Merde...!! soufflais-je.

C'était sûr. Il m'avait repérée. Que faire ?

   C'était mort, j'étais grillée. La malchance semblait s'acharner contre moi, étant pourtant si discrète et agile d'habitude...Je me retrouvais donc cachée sur une terrasse, à guetter alentours. J'etais une personne assez influente, je n'avais pas envie que l'on apprenne que je trainais dans les quartier malfamés de Balbadd à une heure aussi tardive. De plus, si c'était un voleur, je me verrais obligée de l'éliminer...cela rendrait mon marché encore plus prospère, d'autant plus qu'une certaine "Troupe des Brumes" était activement recherchée en ville.
     J'entendis des bruits plus bas. Le garçon, si c'était en effet bien lui, venait de monter non sans difficultés sur le toit. Il semblait maladroit, comme si il avait un peu trop bu : en effet, il n'était pas bien costaud, peut-être un peu plus jeune que moi mais plutôt pas mal dans son genre. Je parvins à mieux le distinguer de là-haut grâce à la lueur de la lune, je m'aperçus qu'il portait une arme à sa ceinture : c'était sans aucun doute un voleur, ou bien une personne pas très claire. Que faisait-il dans un quartier aussi pauvre avec une dague en or, qui pouvait coûter le prix de plusieurs repas ? Cela n'avait aucun sens. Il était vraiment suspect, trop pour être un simple passant.

- Où que tu sois, tu ferais mieux de sortir de ta cachette et me dire pour qui tu travailles... Je ne t'attaquerai pas, je te le promet.

  Sérieux ? Il pensait que son cinéma allait marcher ? Je n'étais pas assez naïve pour croire une personne armée. Et j'étais maintenant presque persuadée qu'il était un bandit : il m'avait demandé "pour qui je travaillais", autant dire, si je faisais partie d'un quelconque clan. De plus, il portait un long habit immaculé, rappelant celui que la "Troupe des Brumes" avait l'habitude de porter...je vois. Il se sentait protégé dans ce quartier défavorisé, avec tous ces pauvres qui le soutiennent... Je ne le laisserais pas faire son larcin plus longtemps. J'allais arriver par derrière pour le faire avouer, si j'avais tord, je le laisserais et filerais pour rentrer à l'hotel. Les autres devaient m'attendre. Je souris en imaginant Ramsès, la grande gueule, se ronger les sangs en secret, puis secouait la tête. Je devais me concentrer sur autre chose.
  Je longeais alors les murets avant de sauter dans une rue adjacente, pour enfin remonter, discrète comme une ombre, sur le toit, derrière l'homme. J'apparus, sans qu'il ne s'en rende compte, derrière lui, et sortit mon cimeterre de son fourreau avec un crissement chuintant. Je le pointait entre ses deux omoplates avant qu'il ne puisse réagir, et lui dit d'une voix froide :

- Vous avez intérêt à m'expliquer ce que vous comptiez faire contre moi. Avouez tout et je vous ramènerait vivant aux autorités. Jetez votre arme à terre et je serais peut-être plus...tolérante.

    Je me méfiais tout de même, car même si il semblait être un de ces simples bandits, il possédait une arme bien trop précieuse pour un enfant des rues. Volée peut-être, mais comment ? Il ne semblait pourtant pas si puissant... Peut-être saurait-il se libérer ? Ou esquiver ? Si cela tournait en combat, j'aurais Haborym avec moi.

   Mon cimeterre entre les épaules, le jeune homme grogna :

- C'est bien gentil comme intention, mais ne me sous-estime pas !

     Il ne m'avait pas vue arriver, mais réagit au quart de tour. Il se retourna d'un coup, me surprenant, et me fit un violent croche-patte avant de reculer et de se mettre en garde. Je tombais durement sur le sol, mon coude cognant rudement sur le toit, provoquant une douleur lancinante dans tout mon bras droit. Je gémissais de douleur. Étant gauchère, je pouvais toujours tenir mon cimeterre, mais je me sentais déséquilibrée.

- Écoute, je ne veux pas me battre contre toi, je veux juste savoir pourquoi tu me suis et ce que tu veux ? Je veux pas de problème, je te le jure. Range ton cimeterre et je range ma dague. Nous sommes pas obligés de nous battre après tout.

   Je jetais un regard terrible à l'homme, pleine de rage. Pas obligés de nous battre ? Faux. Il allait le payer. Il allait le payer pour m'avoir humiliée. Il semblait attendre ma réaction, prêt à agir.

- Comment tu t'appelle ? Es-tu dans la garde royale ou as-tu un lien avec Ahbmad ?

         Bien...donc il s'inquiétait que je sois du gouvernement ou de la garde royale... Ahbmad était le nom du roi de Balbadd, et ce nom semblait dégouter le blond. C'était maintenant évident, c'était un bandit. Un bandit certes maladroit, mais qui semblait dangereux. Dangereux pour de simples citoyens.
Je le foudroyai de mon regard le plus sombre :

- Je n'ai rien à te dire, raclure des rues ! Tu vas juste te livrer ou mourir ! Crachais-je.

    Je me relevais rapidement, mon cimeterre devant moi, dardé sur le blond. L'agitation de mes Djinns rendaient chauds mes réceptacles, mon collier et l'épingle en or. Après une telle humiliation, ma fierté hurlait à la vengeance. Cet homme était un voleur, un bandit recherché, il allait perdre ce combat. J'effleurais des lèvres la garde de mon épée, tradition parthévienne d'escrimeur, avant de me camper sur mes pieds. Le combat commencerait dès qu'il effleurerait un geste.

     Ni mon ton agressif et mon insulte ne semblèrent l'énerver, alors qu'un pauvre habitant de ses rues se serait senti injurié. Il avait juste l'air déterminé et patient, calme. Je l'avait peut-être mal jugé. Mais cela importait peu. Ma colère m'avait donné une énergie débordante, j'avais bien l'intention d'en découdre avant de rentrer à l'hôtel. Impossible d'éviter une bataille.
Il cria à mon attention :

- Tu sais ce qu'elle te dis la raclure des rues ? Qu'elle ne se rendra pas avant que la ville soit libéré de la tyrannie d'Ahbmad ! J'ai pas l'intention de mourir ici de ta main ou de celle des gardes !

J'en une moue moqueuse, en haussant les sourcils :

- Tu as de bien belles paroles pour un bandit et un assassin... Tu parles bien. Tu pourrais presque me convaincre, mais tu ne sembles pas disposé à te rendre !

    À ces mots, je fis une estocade vive vers l'avant, le poussant à parer et à reculer, pour ensuite le bombarder de coups ascendants et descendants rapides, en visant les épaules et les aisselles. J'essayai de trouver une faille en le poussant à l'épuisement, mais il se défendait bien même extrêmement bien...comme un vrai escrimeur. Il avait un vrai talent ! Mais après un long échange de coups, sa dague effleura ma joue, je décidais alors de m'ecarter.
Le sourire au lèvres, non pas parce que je ressentais une quelconque amicalité envers le blond, mais parce que je prenais un réel plaisir dans ce combat :

- Tu es doué pour un voleur...je me demande comment tu as apprit ces coups. Tu ne va m'obliger à le sortir, non ? Rajoutais-je, à part.

Je portais la main à mon cou par instinct, avant de replonger dans la bagarre.

   Le blond, qui semblait prendre autant de plaisir que moi dans le combat, me répondit :

- Je te retourne le compliment, tu es une excellente escrimeuse. Mais je ne suis pas un assassin.

      J'eus un rictus sceptique. Il repassa à l'attaque, avec des coups droits portés vers la poitrine. Je réussis à les parer, non sans difficultés, car son niveau était très bon et mon bras droit était endolori. Je remarquais alors une faille dans sa posture, et portais un long coup sur le bras, formant une grande estafilade. Il fit plusiers bonds en arrière pour s'écarter de moi. Se fatiguait-il ? Voulait-il finalement se rendre ?
Il finit par parler :

- Je pourrai te retourner ta précédente question: où as-tu appris ces coups ?

Je serrais les dents. Il voulait parler ? Je ne voulais pas perdre mon temps.
Bah, si c'était sa dernière question, pourquoi ne pas y répondre ?

- Parthévia est un excellent endroit pour suivre une formation de sabreuse, apprendre à manier les épées courbées est !a base de l'escrime perse. Mais bon, pourquoi ne pas finir ce combat ?

    Je dis une nouvelle estocade qu'il bloqua en faisant glisser le lame de mon arme le long de sa dague. Je me retournais vivement, et lui donnais un coup vif dans le ventre avec ma garde. Il recula sûrement à cause du fait que son souffle soit coupé mais réagit au quart de tour en effectuant un coup tournoyant, coupant une petite mèche de mes cheveux alors que je l'évitait.
Je me mordit la lèvre. Je ne devais pas le sous-estimer, c'était définitivement plus qu'un voleur. Son niveau était bien trop bon pour avoir été appris dans la rue, la façon qu'il avait de placer son bras derrière son dos ressemblait à l'escrime royale. Ce n'était pas n'importe qui. Alors pourquoi redoutait-il Ahbmad ? Je ne comprenais rien.
Il était temps de finir ce combat. Cette personne était bien trop suspecte. s'il fallait que j'utilise ce pouvoir, je le ferais. Sautant sur un autre toit, je détachais mon collier doucement et quémandait mon Djinn :

- Ô, djinn de l'audace et de la séduction, toi et ton réceptacle, je vous commande. Utilisant mon magoi, accorde-moi la puissance désirée. Montre-toi, Haborym !

L'air se chargea en ozone. Mes mains se couvrirent d'or, mon collier s'allongea, puis se disloqua, pour finalement former un fouet aux lames d'or et d'émeraudes, d'où crépitaient plusieurs éclairs. Je braquais mon regard vers le blond. Ce n'était peut-être pas fair-play, mais ce combat ne semblait pas vouloir se finir.

.    Les commentaires respectifs avaient stoppé, l'admiration avait fait place à la froideur glaciale. La tension était montée d'un coup. Que ferait-il ? Avait-il au moins conscience de ce qu'était mon pouvoir ? J'avais maintenant largement le dessus sur lui. Comment réagirait t-il ?
La panique semblait le gagner, il hésita avant de reprendre son air déterminé et de me crier :

- Viens ! Je t'attend !

     J'eu un rictus nerveux. Il ne manquait pas de courage et d'audace. Les éclairs entourant mon fouet redoublèrent d'intensité. J'en profitais pour passer à l'attaque. Je rasais le sol de mon arme d'électricité, avant de courir autour de lui et de sauter pour lui faire perdre complètement ses repères, un long éclair ondulant derrière moi, puis de lui jeter mes chaînes dans les pieds. Il évita l'attaque mais parut désorienté. C'est vrai que mon arme n'était pas vraiment conventionnelle...
         Je levais mon fouet dans les airs avant de le faire s'enrouler autour de sa cheville gauche. Il gémit de douleur malgré le fait que sa jambe soit couverte d'une botte : les éclairs d'Haborym étaient plutôt agressifs. Il se dégagea en s'aidant de sa dague pendant que je le tirais vers moi, pour s'éloigner, l'air sonné.
Ramenant mon arme vers moi en croisant les bras, je bougonnais :

- Allez, essaye de m'attaquer ! Si tu fais partie de la Troupe des Brumes, tu as bien d'autres talents...comme des reliques par exemple ? Ne me laisse pas t'avoir aussi facilement !

    J'essayais de le provoquer, pour découvrir l'étendue de ses compétences. En effet, les fameux voleurs semblaient posséder des reliques de Donjon relativement puissantes, si je pouvais en ramener avec moi, ce serait bien profitable... J'ouvris les bras, mon fouet crépitant dans la main, attendant son offensive.

   Le jeune homme, avait en effet, bien plus de ressources que l'on pouvait le croire. Il se releva et, tenant sa dague devant son visage, récita :

- Djinn de la rectitude et de la discipline, je vous convoque vous et votre lige, avec mon Magoi comme énergie, utilisez votre pouvoir afin d'exaucer ma volonté ! Viens à moi, Amon !

    Le symbole de sa dague, que j'arrivais enfin à distinguer, s'illumina : le signe des Djinns. Une flamme sortit de la dague, l'embrasant totalement. Un grand sourire s'étala sur mes lèvres. Non pas une relique...mais un réceptacle à Djinn ? Décidément, il m'étonnait. Qui aurait cru qu'il avait conquit un Donjon ? D'après ma mémoire, c'était celui de Quishan ; j'étais passée dans cette ville quelques mois plus tôt, et on m'avait parlé de ce fameux Donjon : Amon.
   Ca allait donc se jouer entre Haborym et Amon, audace contre sévérité, éclairs contre feu.
   Ce nouveau retournement me tracassa : il pouvait maintenant me tenir à distance grâce aux flammes de sa dague. J'etais certes protégée des brûlures des éclairs, mais pas non plus ignifugée !
J'avais certes une grande réserve de magoi, mais elle s'épuisait un petit peu au fur et à mesure...

- Pas mal ! lui lancais-je, dents serrées.

   J'avais encore un atout : ma rapidité qui surpassait la sienne. Je deroulais mon fouet, la foudre redoublant d'intensité, et le lui lançais dans les pieds, le poussant à bouger sans cesse. Malheureusement, à cause de ses flammes, je ne pouvais pas l'approcher, et mes coups étaient plutôt faciles à éviter... Je m'écriai :

- Bararq Tha-Baan ! (Serpent foudroyant)

     Un éclair fulgurant vint le frapper à l'abdomen, le faisant s'écrouler. Ca ne devait pas être génial pour l'organisme, un tel coup de jus. Il était sûrement déjà mort.
Pourtant, à maq grande surprise, il tendit sa dague et une grande gerbe de flammes en sortit. Je m'ecartais au dernier moment, la morsure du feu m'effleura, laissant une ligne rouge sur ma joue. Encore debout ? Allait-il s'équiper de son équipement d'arme de Djinn ? Qu'allait-il faire ?
Je frottais ma joue rageusement, prête au combat.

À ma grande surprise, le jeune homme ne répliqua pas. Il resta debout, haletant, sans bouger, avant de rengainer sa dague.

- Arrêtons là... Je veux pas te tuer. Et tu ne semble pas faire partie de la garde. C'est pas le style de combat qu'IL enseigne.

Il s'adossa contre le mur, le regard plein de défi.

- Alors, que vas-tu faire ? Me tuer ? Me livrer ?

Il se rendait ? Je stoppais mon Revetarme, le crépitement des éclairs cessa, mon fouet redevint un collier dans ma main. Ce n'était qu'un inconnu, mais nous en avions bavé dans ce combat, chacun de notre côté. Il était temps que l'un de nous y mette fin.

- Te tuer ? Non...tu es bien trop intéressant pour ça. Je prévois juste de te ramener aux autorités, ils s'occuperont bien mieux de ton cas que moi. Tu es bien mieux vivant que mort.

  Il n'était pas qu'intéressant...mais intriguant. Tout ça ne tenait pas debout, il ne pouvait pas être un simple membre de la Troupe des Brumes.
Je perdais patience. La curiosité et la frustration l'avaient emporté sur la méfiance, je voulais savoir. Je restais tout de même sur mes gardes, mon collier dans la main.

- Bon, fini de jouer au chat et à la souris. Qui es-tu réellement ?

Je plongeais à mon tour mon regard de cuivre dans le sien, en attendant une réponse concluente.

     Après une hésitation, il déclara :

- Je m'appelle Alibaba Saludja. Je suis le troisième prince de Balbadd.

     Je tiquais, surprise. Un prince ? Un prince bandit ? Mais pourquoi ? Cela n'avait aucun sens. Les princes de Balbadd roulaient sur l'or tandis que le peuple crevait de faim...que faisait-il ici ?
Alibaba. Ce nom...cela me revint. C'était celui d'un des chefs de la Troupe des Brumes. Je n'arrêtais pas d'entendre parler d'"Alibaba le Magnifique" partout autour de moi, dans les rues, au marché... Le peuple l'adorait, et sa tête valait plus cher que celle de n'importe quel bandit.
Il poursuivit :

- Prince illigitime pour être plus précis. Ma mère était une prostituée. J'ai grandis dans les taudis de Balbadd jusqu'à ce que le roi vienne me chercher. J'ai appris là-bas l'escrime, le commerce, et tout ce qu'il fallait... Mais j'étais pas bien vu par mes frères, cela va de soi.

Je comprenais ce qu'il ressentait. Moi aussi, on m'avait considérée comme inférieure, même si je faisais tout pour exceller partout, et être la meilleure pour être reconnue : je n'étais qu'une fille pour eux, pas une héritière ; et j'avais été rejetée par tous.
Je me mordis nerveusement le pouce. Que devais-je faire ? Il n'avait pas l'air d'un truand, et ses pouvoirs étaient vraiment intéressants... S'il avait vécu au palais, il saurait forcément en sortir. La prison ne servirait à rien. Je décidais d'en savoir plus :

- Pourquoi t'es-tu engagé dans la Troupe des Brumes ? Quel est ton but ?

Je voulais savoir pourquoi il faisait de telles choses. Il était vrai que le peuple subissait des traitements atroces, mais je ne comprenais pas le véritable objectif de ces voleurs. Et je n'avais toujours pas prit de décision.

Le garçon me fit signe de m'assoir, ce que je fis, non sans garder une distance entre nous. La tension du combat semblait encore présente et je restais sur mes gardes. Ramenant mes genoux contre ma poitrine, j'écoutais.

- Tu as sans doute remarqué dans quel état ce trouve Balbadd... Ahbmad appauvrit de plus en plus le pays. Les enfants et les vieillards meurent et seuls les plus riches arrivent à s'en sortir. Je veux arrêter Ahbmad avant que l'irréparable soit commis. Si j'ai rejoint la troupe, c'est par nécessité. Il avait besoin d'un chef et j'avais besoin d'aide.

Il fit une pause, portant une main à son ventre. Oups, le coup devait encore se faire sentir...
J'affichais un sourire désolé. Cet homme avait eu une sorte de parcours similaire au mien. Je me sentais un peu compatissante, car il avait en fait l'air fragile derrière son escrime parfaite. Malgré sa férocité et son Djinn, il restait une personne plutôt...attendrissante. Je fronçais les sourcils. Je ne devais pas baisser ma garde.

- A la mort du précédant roi, j'ai fui Balbadd, alors que son dernier souhait était que je reprenne le relai. Tu peux dire que j'ai été lâche. J'ai fui mes responsabilités. Si j'avais accepté le sort qui m'était destiné, peut-être que le pays ne serait pas en aussi fâcheuse position... J'ai donc rejoins la troupe pour réparer les erreurs que j'ai commises.

Pensive, j'entourais mes jambes de mes bras. Son récit, bien que tiré par les cheveux, semblait tenir debout...et il avait l'air d'un gars sincère.

- Tu veux donc dire que tu t'es engagé dans cette Troupe...pour le bien de Balbadd ? Je peux comprendre ce que vous faites pour les habitants des bidonvilles, je sais ce qu'on y vit. Cela ne devrait pas avoir lieu, c'est évident... mais vous pillez ou même tuez des gens ! Est-ce le prix à payer pour la paix ?

Je repris, cherchant les mots :

- Je veux dire, vous êtes des criminels ! Au bon coeur, sans doute, mais cela reste injuste. Les riches de cette ville ne sont pas tous responsables...ils ont peur comme tout le monde. Mes contractants...ma famille, a peur de s'attarder ici ! Si je veux vous arrêter, c'est pour protéger ma famille et la justice !

Je relevais les yeux, dardant mon regard flamboyant dans celui doré du dénommé Alibaba. Qu'allait il répondre ? Comment se finirait cette rencontre décidément mouvementée ?

        L'homme fut désarçonné par mes propos, son regard semblant s'affoler durant quelques secondes. Il murmura :

- Je ne savais rien des meurtres... J'irais régler ça.

     Il reprit contenance, fichant dans mes yeux son regard doré, l'air déterminé.

- Écoute, les riches s'enrichissent sur le dos des personnes vivant là. Nous volons juste assez de quoi survivre ! Des dizaines de centaines d'enfants et de vieillards mourraient de faim si nous n'arrivons pas à voler. Tu crois que ça me plaît de faire ça ?! Je le fais par nécessité ! Et non par envie ! Mets toi dans ma situation avant de me juger. J'ai les espoirs des trois quarts de Balbadd sur mes épaules. J'ai pas d'autres choix que ceux que j'ai. J'ai plus le choix maintenant. J'ai choisis ça et jamais je neeculerai.

      Une troupe de bandits bienveillants... Je comprenais maintenant pourquoi on surnommait cet homme "Alibaba le Merveilleux". Leur intention était noble, c'était vrai, mais il y avait de nombreux dérapages, qui pouvaient se finir en bains de sang. Je n'étais pas dans cette ville depuis longtemps, mais les tensions entre les pauvres et les riches des beaux quartiers étaient de plus en plus électriques, et le fossé entre eux se creusait à chaque instant. Les derniers casses n'arrangeaient rien.
         Il me demandait de me mettre dans sa peau pour le juger. Sauf que j'étais moi aussi déjà passée par là, il y a longtemps, une période que je préfèrerais oublier.

- Je sais ce que ça fait, dis-je d'une voix douce en baissant la tête. Je sais ce que ça fait de sentir tous ces espoirs, ces rêves en attente d'être réalisés, sur ses épaules. Je sais ce que ça fait de devoir choisir entre ses principes et la nécessité. Je connais les taudis, la famine, j'ai déjà côtoyé la maladie et la mort de plus près que tu dois le penser.

     Je relevais la tête, cherchant à deviner ce que le blond pensait, l'inspectant de mon regard d'ambre. Il semblait si téméraire, si naïf, mais si volontaire... Frustrée, je serrais les dents, passant une main dans mes cheveux sombres. Je cherchais mes mots.

- Disons, que pour la paix...il faut parfois préférer la diplomatie et le recul à l'action et l'initiative.

        Cela résumait bien ma position actuelle. Toujours à marcher sur un fil, entre les puissances, la convoitise et le danger, à devoir peser chaque mot et chaque geste, pour ne pas risquer de déraper et protéger mes contractants. J'avais choisi cette voie, celle de la liberté de mes contractants, mais j'avais dû sacrifier un peu de la mienne.
       Alibaba...il me ressemblait tellement au fond. Devais-je l'aider ? Accepterait-il ? Ou devrais-je l'arrêter ? Ce serait évidemment dangereux...mais je commençais à comprendre don fonctionnement.

            Alibaba se releva et me fixa. Il semblait déterminé, déterminé à entreprendre ce qu'il pensait juste. Décidément, il me ressemblait, quand j'étais encore honnête et ignorante de ces histoires de Donjons et d'argent.

- Écoute. Je vais voir pour régler cette histoire de meurtre et je veillerai que personne viennent voler quelque chose à ton étalage. Mais pour ça, tu dois me laisser partir. Si tu as été à ma place, tu sais que si je me fais arrêter, ça va déclencher une guerre civil, et Balbadd deviendra beaucoup trop dangereux. Je veux pas que ça finisse dans un bain de sang, alors je dois partir.

Je hochais la tête, un rictus s'étirant sur mes lèvres.

- Je ne reste pas longtemps ici, ce n'est donc plus mes affaires, ce n'est pas le vol de quelques dattes ou d'une théière en or qui me tracassera. Je veux juste te mettre en garde : agis avec tempérance, tu pourrais bien te mettre en danger un jour ou l'autre... À moins se tu ne le sois déjà.

Il recula, me fixant toujours. J'étais presque sûre qu'il pensait la même chose que moi : cette rencontre nous avait apprit bien des choses. Il se dirigea vers le rebord. Je lui adressait un signe de la tête en guise d'adieu.

- Au revoir, Alibaba, porteur de Djinn. Puisse nos chemins se recroiser.

        Il me fit un geste de la main avant de sauter du haut du toit. Je le vis parcourir les rues avant de disparaitre dans la nuit qui nous enveloppait toujours.
Notre rencontre s'était terminée, mais au fond de moi, je sentais que nous allions sûrement de nouveau nous croiser. Alibaba... Ce gamin avait un truc de différent.
            Je restait immobile un instant, avant de descendre dans le méandre des rues en glissant sur une gouttière. Je me dirigeais vers ma résidence, l'esprit brumeux.
Maintenant, je devais rejoindre mes contractants.
Demain, nous quitterons Balbadd, cela risquerait d'être long et fatiguant.